Punch Brothers

Le cinquième album, All Ashore, de Punch Brothers est leur premier autoproduit, à la fois ambitieux et décontracté, à l’image du groupe « ridiculement éclectique », selon le Guardian de Londres. L’œuvre a l’allure d’une suite de neuf chansons, qui vous invite à démêler les fils des thèmes et des histoires sous-jacentes au fil des écoutes. Chaque pièce s’insère dans le suivant de manière fluide, voire sournoise. Tout à coup, The Angel of Doubt relate un drame de la nuit noire de la soul avec la voix du chanteur-mandoliniste Chris Thile et glisse vers Three Dots and a Dash, instrumental qui passe de la rumination au rave, hommage à un cocktail Tiki classique, la plus récente obsession récréative de Thile.

Pour Thile, All Ashore est « une méditation sur les relations engagées de nos jours, en particulier dans le climat politique actuel, certainement le plus instable qu’ait connu le groupe ». Il ajoute que « nous espérions pouvoir créer quelque chose qui serait convaincant en tant que pensée complète, une sorte de pensée en neuf mouvements ou en neuf chansons, même si l’album est varié du point de vue des sujets abordés et des personnages qui parlent ».

Lorsque les Punch Brothers ont lancé leur dernier album, Phosphorescent Blues, en 2015, Rolling Stone soulignait que « le génie de Thile et de ses collègues, le guitariste Chris Eldridge, le contrebassiste Paul Kowert, le banjoïste Noam Pikelny et le violoniste Gabe Witcher, tient à l’art avec lequel ils mélangent bluegrass, roots, rock, pop, jazz et classique pour créer un son unique et contemporain ». L’album All Ashore présente également une virtuosité décontractée et sûre, mais jamais ostentatoire.

De manière plus prononcée que sur les disques précédents, All Ashore donne un aperçu de la vie réelle des Punch Brothers, car ces artistes ont passé plus d’une douzaine d’années à jouer ensemble et doivent maintenant composer avec le mariage, la famille et leurs carrières individuelles, toujours à plein régime en tant que producteurs, compositeurs, arrangeurs et leaders. Sur les premiers morceaux de l’album, ils abordent avec franchise l’état de leur propre monde. Dans les chansons subséquentes, intelligentes et satiriques, comme Jumbo et All Part of The Plan, ils abordent l’état de notre aspect collectif. La balade discrète The Gardener combine de manière poignante le personnel et le politique dans son évocation d’un travailleur manuel dévoué qui apporte de la beauté au jardin d’une famille, mais qui reste un étranger, mystérieux pour elle, qu’il ne fait qu’apercevoir occasionnellement par la fenêtre.

Les cinq membres du groupe ont pris le temps de quitter leurs familles pour se rassembler une fois de plus au United Sound de Los Angeles (anciennement Ocean Way), où ils avaient déjà enregistré Phosphorescent Blues avec T Bone Burnett ainsi que leur album de 2010, Antifogmatic. Pikelny raconte que « lorsque nous nous sommes réunis pour la première fois, nous étions pour la plupart des célibataires d’une vingtaine d’années. Nous partagions une vision musicale, mais il y avait ce sentiment de fraternité, de fratrie, qui a vraiment scellé l’affaire et jeté les bases d’une collaboration durable ».

Il ajoute que « nous avions beaucoup plus de temps libre que maintenant, avec moins d’engagements familiaux et professionnels. Au début, les moments que nous passions ensemble étaient spontanés, désinvoltes, et nous titubions souvent hors des bars à trois heures du matin à New York. Nous devons maintenant nous organiser beaucoup plus pour avoir des occasions d’être ensemble et de faire de la musique. Nous ne vivons plus tous dans la même ville, trois d’entre nous sont mariés, et il y a trois enfants qui courent partout ».

Pikelny poursuit : « en outre, la situation politique et culturelle actuelle de notre pays contraste vraiment avec tout ce que nous avons vécu tous les cinq au cours de notre vie. Tous nos précédents albums ont été réalisés dans des périodes de calme relatif, par rapport à l’époque actuelle. Mais qui de mieux que notre famille musicale la plus proche pour nous aider à naviguer et à donner du sens à ces temps de plus en plus étrangers et difficiles? Cet album a ressemblé à une grande réunion du groupe, une occasion d’aller vraiment au cœur de ce que représentent les Punch Brothers ».

De plus, les projets individuels des membres du groupe ont influé sur All Ashore. « Nous entendions de nouvelles choses de la part de tout le monde », dit le violoniste Witcher, « et c’est ce que le fait de partir et de faire autre chose vous apporte. Nous avions toute cette collection d’influences, de nouvelles expériences, un élargissement du champ d’action. »

Thile a toujours jonglé avec de multiples projets tout au long de sa carrière avec les Punch Brothers et en tant que membre du trio Nickel Creek, lauréat d’un Grammy. Il anime actuellement l’émission de radio publique, Live from Here, souvent secondé sur scène par au moins un membre des Punch Brothers. Rien qu’en 2017, il a lancé un album en duo avec le pianiste de jazz et compagnon de l’étiquette Nonesuch Brad Mehldau, un ensemble de pièces pour trio de Bach avec le violoncelliste Yo-Yo Ma et son mentor et ami de longue date, le contrebassiste Edgar Meyer, ainsi que Thanks for Listening, ensemble studio de « chansons de la semaine » qu’il avait composées pour Live from Here.

Witcher a produit des albums pour Sara Watkins de Nickel Creek (Young in All the Wrong Ways en 2016), Pikelny (son disque solo de 2017, Universal Favorite) et le duo de guitare acoustique de Chris Eldridge, également des Punch Brothers, et Julian Lage (Mount Royal en 2017). Rhiannon Giddens, également sur l’étiquette Nonesuch, a récemment embauché Witcher afin de créer des arrangements orchestraux de son répertoire pour des concerts avec des orchestres symphoniques.

Kowert vient de lancer Unless, le premier disque de son quatuor Hawktail établi à Nashville, produit par son collègue Eldridge, sur lequel joue la violoniste Brittany Haas, invitée fréquente de Live from Here. Eldridge a également enregistré et fait des tournées avec Julian Lage, guitariste prodigieux qui mêle sa formation jazz au folk, au rock et au bluegrass. Au début de l’année 2017, Pikelny a lancé un album purement solo, Universal Favorite, et a fait de nombreuses tournées au pays en solo. Il a produit Motel Bouquet pour l’autrice-compositrice-interprète Caitlin Canty, avec laquelle il se produit également. À l’automne 2017, il a de nouveau été élu banjoïste de l’année par l’International Bluegrass Music Association.

Pour All Ashore, au lieu d’enregistrer une pléthore de morceaux à partir desquels ils assembleraient un album, Witcher explique que « nous avons décidé d’écrire et d’enregistrer cet album dans l’ordre. Ce faisant, nous avons vraiment pu construire la narration, la musique et les paroles, tout au long du processus. C’était une nouvelle façon de faire les choses pour nous, cela nous a permis de raffermir notre cohésion et de tisser la narration ».

Eldridge ajoute que « ces chansons n’avaient jamais été jouées en concert auparavant. Nous les avons jouées pour la première fois en studio. Cela dit, vous captez quelque chose, ce moment de découverte, ce qu’est la mélodie, comment elle évolue, comment je dois me détendre dans une certaine section de la mélodie, toutes ces choses qui sont subtiles, mais palpables pour l’auditeur et même pour vos collègues lorsque vous les découvrez ensemble. Je pense que l’album capte tout cela ».

Thile a dû faire appel à la concentration et à la coopération dans le cadre de la difficile émission Song of the Week du site Live from Here et cela a considérablement influé sur la réalisation de l’album All Ashore. Selon Kowert, « les capacités de composition de Chris sont au sommet de leur forme; il a travaillé sous une pression constante au cours de cette émission de radio. Et ce fut une expérience similaire pour nous tous, à notre manière, cette ouverture à incorporer les instincts des autres, combinée à une sorte d’élément de dernière minute. Thile se rendait toujours à pied aux séances d’écriture, aux répétitions et à l’enregistrement proprement dit, et en cours de route, il travaillait sur des paroles pour la semaine suivante, voire le jour suivant. Certaines paroles étaient écrites juste avant les prises. Il présentait au groupe sa pensée issue de sa promenade et nous y travaillions ensemble. Il y avait une certaine spontanéité dans les résultats ».

Thile est d’accord. « Ils avaient la confiance et la capacité d’exprimer ce qui pouvait les déranger dans un texte particulier. Peut-être que ma confiance accrue en tant que parolier, grâce à l’émission de radio qui est comme un camp d’entraînement à la composition, tant sur le plan musical que lyrique, me donne un certain réconfort. C’est une force de motivation. Lorsque je retournais à la planche à dessin, je revenais invariablement avec des paroles qui m’enthousiasmaient davantage. Cet aspect des Punch Brothers a atteint un nouveau niveau. Quel que soit le sujet sur lequel nous travaillons, il est devenu plus profond et a entraîné un plus grand changement. »

Comme le dit Eldridge, « j’ai l’impression que nous sommes un meilleur groupe. L’ironie, c’est que nous avons fait beaucoup moins de choses ensemble ces deux dernières années que nous n’en avions faites auparavant. Il y a une belle familiarité à avoir cette relation à long terme, et les Punch Brothers sont une chose qui, je l’espère, fera partie de nos vies encore très, très longtemps. C’est un groupe pour la vie. Avoir cette relation permanente, avoir passé une décennie ensemble, ça donne le sentiment que nous n’avons pas besoin de prouver quoi que ce soit. Nous sommes suffisamment à l’aise avec ce que nous sommes, ce que nous faisons, pour célébrer les choses qui sont cool, uniques et créatives au sein du groupe. Sous cet angle, notre seul objectif était de faire un disque honnête et beau. »

« Ce disque est une distillation des choses que nous sommes les seuls à pouvoir faire », ajoute Witcher. « Nous voulions nous concentrer sur les choses qui nous rendent uniques, et je pense que nous y sommes parvenus. Et nous avons un disque plus cohérent et plus réussi. Nous sommes là depuis douze ans maintenant; nous savons qui nous sommes. »

- Michael Hill